Manifestation du 22 mai 2012 |
Je
pensais éviter le sujet, du moins sur cette tribune, mais je crois que comme
nouveaux (et futurs) immigrants et futurs citoyens du Québec, l’actualité de
notre belle province est importante, autant pour vous que pour moi. Si vous
lisez les médias du Québec (et même d’ailleurs), vous aurez pris connaissance
du conflit étudiant qui a cours au Québec depuis plus de 15 semaines. J’aimerais vous expliquer ce qui se passe…
Le carré rouge est le symbole de la lutte étudiante. |
Une hausse, une grève
Tout
a commencé en mars 2011. Le ministre des Finances annonçait des coupures et
prévoyait une hausse (augmentation) des coûts des droits de scolarité
universitaire. On parle d’une augmentation de 75 % sur 5 ans qui est devenue
par la suite une augmentation de 82 % sur 7 ans (soit 254 $ de plus
par année pendant 7 ans, pour un total de 1778 $). S’opposant à cette
mesure, les étudiants ont commencé à organiser une vaste campagne de
mobilisation et d’information. À la mi-février 2012, plusieurs associations
étudiantes votent pour entrer en grève. C’est le début de la plus grande grève
étudiante de l'histoire au Canada. Des actions sont organisées quotidiennement, comme des
marches et manifestations, des démonstrations artistiques, des interventions
urbaines, etc. Les faits marquants : une grande marche pacifique le 22
mars rassemblant plus de 200 000 personnes dans les rues de Montréal; une
autre le 22 avril avec 300 000 personnes (pour le jour de la Terre) et le 22 mai, avec plus de 200 000
personnes.
Les trois représentants des associations étudiantes |
L’argumentaire
Chaque
camp —pour ou contre la hausse — a ses arguments. Malheureusement, tous les
arguments ne sont pas basés sur des faits, des études sérieuses ou des
arguments rationnels. Les gens donnent souvent leurs opinions en fonction de
préjugés et de clichés. En résumé, on peut dire que le débat a grandement divisé la
population, en raison de visions différentes concernant la société. Certains
veulent une plus grande présence de l’État, d’autres moins. Cependant, on peut
affirmer que les positions ne sont pas toujours accompagnées d’une réflexion, ce qui s'explique par une grande campagne de désinformation dans les médias. Ce n’est pas pour rien que le
gouvernement du Québec a acheté des mots clés sur Google pour rediriger les
usagers vers des pages Web officielles du gouvernement ! [i]
POUR la hausse (argumentaire principalement développé par le
gouvernement):
- Tous les étudiants doivent
faire leur part. Ils ne payent pas assez pour leur formation.
- L’État est en crise; il n’y a
plus d’argent.[ii]
- Il fait s’ajuster à la moyenne
canadienne.
- Il faut « dégeler »
le prix des études.
- Le Québec a les prix les moins
élevés, de toute manière.
- La hausse n’est pas
significative, seulement 254 $ par année.
- Les étudiants les plus
vulnérables recevront des bourses.
- Le réinvestissement dans
l’éducation améliorera la qualité de l’enseignement.
- Etc.
CONTRE
la hausse
- L’augmentation va créer plus
d’endettement chez les diplômés, donc plus de pression financière sur eux à la sortie de leurs études.
- Le modèle d’éducation doit être
préservé, car l’éducation est un bien collectif qui permet l’équité et la
mobilité entre les classes sociales. Avec la hausse, on bloque l’accès à
l’éducation. Des études démontrent qu’il y aura une diminution du nombre
d’étudiants après une hausse.
- L’augmentation n’est pas basée
sur une évaluation des ressources, car le Québec est la province qui investit
le plus en éducation. Elle est basée sur une demande de la Conférence des
recteurs du Québec qui demande un réinvestissement dans l’éducation.
- Le Québec n’a pas les prix les
moins élevés; comparativement à la moyenne des pays les plus industrialisés, le
Canada et le Québec sont en-dessous de la moyenne. Mais le Québec est numéro 1
pour le financement de l'éducation dans les pays industrialisés.[iii]
- L’augmentation n’affectera pas
vraiment la qualité de l’enseignement, car l’argent ira principalement en
gestion, dans les biens immobiliers et la bonification des prêts étudiants. [iv]
- Le prix des études n’est pas
gelé; les étudiants ont vécu plusieurs augmentations depuis les dernières
années. [v]
- L’université répond à une
logique marchande. Elle gaspille beaucoup d’argent en publicité, en
infrastructures, en coûts administratifs… de l’argent qui pourrait être investi
dans une meilleure éducation.
- Les dépenses des universités ne
sont pas assez contrôlées par l’État (le système d’éducation est exclusivement
public au Québec). Les universités ont été au cœur de plusieurs
scandales : des salaires et bonus de retraite de plusieurs millions de dollars,
coûts trop élevés pour de nouveaux édifices et équipements, création de
nouveaux campus avec peu d’étudiants, coûts administratifs qui explosent, etc.
-
Etc.
Faire la sourde oreille
Le premier ministre du Québec, Jean Charest |
En mode négociation
Les
gens et les étudiants sont en colère en grande partie en raison de
l’irresponsabilité du gouvernement dans le dossier de la crise étudiante. Ils
disent que le gouvernement n’a pas affronté la situation comme il se doit. Les
associations veulent négocier, mais le gouvernement refuse catégoriquement de
parler de la hausse. Les étudiants veulent parler de la hausse, ce qui crée une
impasse. Il y aura trois rencontres entre le gouvernement et les leaders
étudiants :
( (1) Le 23 avril, c’est la première
rencontre de négociation. Le lendemain, la ministre de l’Éducation exclut l’une
des associations qu’elle rend responsables des violences dans les
manifestations. En réaction et par solidarité, les autres associations se
retirent des négociations.
(2) Le 5 mai, nouvelle table de
négociation. Après 22 heures de discussion, une entente de principes est
signée. Cette entente dit que la hausse des coûts pourrait être modérée par la
diminution des frais institutionnels obligatoires SI un conseil nommé réussit à
démontrer des économies possibles (un conseil où seront présents 4 étudiants
sur un total de 18 personnes). L’entente est rejetée par les associations
étudiantes quelques jours plus tard.
(3) Le 14 mai, une brève rencontre
avec la nouvelle ministre de l’Éducation (car l’ancienne ministre démissionne
en date du 14 mai). C’est une formalité, car déjà, des rumeurs circulent à
l’Assemblée nationale concernant une loi spéciale pour en finir avec le
conflit.
Le dérapage
Bien
sûr, ce conflit affecte toute la province et pas seulement les étudiants. Les
gens sont fatigués. Les étudiants sont fatigués. Et la police aussi est
fatiguée. Les gens sont divisés sur la question. Les médias n’aident pas à se
faire une opinion réelle de la situation. Mais, en regardant les choses avec
une certaine distance, on constate que les manifestations ont été somme toute
pacifiques. Malheureusement, les médias ont donné une place disproportionnée à
la violence. Il existe dans les manifestations ce qu’on appelle des
« casseurs », des gens qui brisent des fenêtres et lancent des
projectiles aux policiers. Le problème, c’est que la police ne s’attaque pas
uniquement aux casseurs; ils commencent réprimer tous les manifestants en utilisant
des gaz et bombes assourdissantes et en faisant des arrestations (dont
certaines arrestations de masse), même si la majorité des manifestants sont
pacifiques. Les cas de brutalité policière sont de plus en plus nombreux. Depuis
le début, les arrestations se comptent par millier et il y a eu quelques
blessés graves. Amnesty International et la Ligue des droits et libertés du
Québec demandent au gouvernement d’agir. Mais c’est le silence. Pendant ce
temps, les médias de partout dans le monde commencent à prendre connaissance de
la situation du Québec et publient des photos et textes en soutien au
mouvement.[vii]
Depuis le début du conflit, plus de 5 000 articles ont été écrits dans des
journaux étrangers.
La loi 78
Pour
régler le conflit, le gouvernement décide de présenter une loi spéciale après
14 semaines de grève.[viii]
Après plusieurs heures de débat à l’Assemblée nationale, la loi 78 est adoptée
le 18 mai dernier, moins de 24 heures après son dépôt. Cette loi est une atteinte aux droits de manifestation, d’association
et d’expression. Voici ce que dit la loi :
- interdiction de manifester près
des institutions d’enseignement;
- interdiction de participer à tout
type de rassemblement de plus de 50 personnes si cette manifestation n’a pas
été communiquée au moins 8 heures en avance (donc, illégalité des attroupements
spontanés);
- de fortes amendes aux personnes
qui participent à ces manifestations (entre 1000 à 7000 $);
- les associations étudiantes
sont tenues responsables des actions commises par leurs membres;
- le gouvernement a le pouvoir de
lever des droits qu’avaient ces associations (il faut savoir que l’existence et
les droits des associations étudiantes sont présents dans la Loi.);
- le renversement de la
présomption d’innocence : les personnes arrêtées doivent prouver qu’elles
ne sont pas coupables.
Plus de 500 juristes qui manifestent à Montréal contre la loi 78. |
Depuis
l’adoption de la loi 78 (qu’on appelle plus populairement, la loi matraque),
des milliers d’arrestations ont eu lieu. Il y a eu des arrestations de masse,
dont celle de dimanche 20 mai où plus de 300 personnes ont été encerclées et
arrêtées. Le 24 mai, c’était plus de 500 personnes qui sont arrêtées
collectivement à Montréal et 200 à Québec. En début de semaine, 500 juristes
ont défilé dans les rues de Montréal contre la Loi 78. L’ONU a aussi publié un
communiqué appelant le gouvernement à faire respecter pleinement les droits à
la liberté de réunion pacifique, d'expression et d'association des
manifestants.[ix]
Le 25 mai, deux recours juridiques ont été déposés la semaine dernière pour
annuler cette loi. Même le célèbre groupe de pirates informatiques Anonymous a commencé à appliquer ses menaces envers le gouvernement.
Les casseroles dans la rue, depuis l'adoption de la loi 78 |
Les casseroles
Depuis
l’adoption de la Loi spéciale 78, un nouveau mouvement s’est fait entendre,
celui des casseroles. Même si la population est divisée, la majorité trouve que
cette loi va trop loin. Chaque jour, à 20 h, les gens se rassemblent dans
les rues de leur quartier et font entendre leur casserole. C’est une manière de
protester contre cette loi que plusieurs jugent anticonstitutionnelle
(contraire à la constitution).
Et maintenant?
Le
gouvernement se réveille. Lundi dernier, Jean Charest rencontrait pour la
première fois les leaders étudiants, après plus de 3 mois de conflit. De nouvelles
négociations sont lancées le 28 mai, mais le 31 mai, le gouvernement décide de rompre encore une fois le dialogue. Il dit que les étudiants ne font pas d'efforts. Les leaders étudiants disent que le gouvernement est de mauvaise fois. Reste à voir où tout cela nous mènera…
À suivre…
[i] LA Presse, « Québec achète «grève étudiante» sur Google., 11/11/2011. Lien : http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201111/11/01-4466986-quebec-achete-greve-etudiante-sur-google.php
[ii]
Plusieurs exemples démontrent que l’État a diminué la pression fiscale (moins
d’impôts) sur le secteur privé en diminuant leurs impôts et la taxe sur le
capital au cours des dernières années. Les entreprises privées sont passées à
un taux d’imposition de 62 % (en
1963) à 11 % (en 2011).
[iii]
Ministère de l’Éducation et des Loisirs, Indicateurs de l’éducation 2010, p 43.
[iv]
Étude de l’IREC. Lien : http://www.irec.net/upload/File/educationaidefinancierejanvier2012pdf%282%29.pdf
Seulement 37 %
du montant additionnel payé en 5 ans ira à la qualité. Source :
Confédération des associations d’étudiants de l’Université Laval. Vidéo.
Lien : http://aeaum.wordpress.com/2011/11/30/ou-ira-largent-de-la-hausse-des-frais/
[v]
Dernièrement, les frais ont été augmenté en 2007 de 100 $ par années sur 5
ans + les frais administratifs qui augmentent année après année, qui peuvent
représenter jusqu’à 46 % de la facture totale.
[vi]
Fait : 59,1 % des étudiants à temps plein et 86,4 % à temps
partiel ne reçoivent pas d’aide financière.
[vii]
Voici des articles de différents journaux étrangers, partout dans le monde: http://www.facebook.com/media/set/?set=a.370049293051118.84564.265180340204681&type=1
[viii] Le Droit, « La loi spéciale est adoptée », 19/05/2012. Lien : http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/education/201205/18/01-4526877-la-loi-speciale-est-adoptee.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4526386_article_POS1
[ix] La Presse, « L'ONU s'inquiète de la rigueur de loi 78 », 30/05/2012. Lien : http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201205/30/01-4530170-lonu-sinquiete-de-la-rigueur-de-loi-78.php
LEXIQUE :
Endettement = Fait de s’endetter, de devoir de l’argent.
Hausse = augmentation
Droits de scolarité = le coût des études post-secondaire (s’ajoute aux autres frais administratifs)
Dérapage = Changement imprévu, incontrôlé, indésirable.
Matraque = Arme ayant la forme d’un bâton assez court, destinée à assommer.
Casserole = Ustensile de cuisson de forme cylindrique, à manche et à fond plat.
Impasse = Situation inextricable, dont il est difficile de se sortir
4 commentaires:
Merci Maryse pour l'information. Et, comme vous avez dit, ce conflit nous affecte tous. Notre première responsabilité est d'etre bien informés.
À propos des casseroles, j'ai lu que ce mouvement est né au Chili il y a plus de 40 ans.
Voici un article intéressant.
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2012/05/24/003-casserole-chili-argentine.shtml
Maryse, merci beaucoup pour ton texte! Il m'aidé pour comprend tout sur cette situation terrible au Québec. Puor moi c'est une dictature comment la du Brésil dans le ans 70. C' est le même argumentation du Government. La Loi 78 c'est une grand act imbecille de le ministre Charest!
Bonjour !
Malgré le fait que la situation soit sérieuse et qu'elle restreigne nos droits d'expression et de manifestation, nous ne pouvons pas parler de dictature. Ce serait beaucoup trop fort comme mot. De plus, la dictature implique la dissolution du Parlement et le retrait du pouvoir aux élus. Ce n'est pas le cas au Québec.
maryse
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